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Quantifier les externalités positives espérées d’un projet d’aménagement ou de rénovation peut relever du casse-tête. Depuis le décret d’application du 23 décembre 2013, l’évaluation socioéconomique (ESE) est pourtant une obligation règlementaire pour les projets d’investissement financés par l’État à plus de 20 millions d’euros.

Par cette nouvelle méthode, la valeur d’un projet intègre ainsi les dimensions sociales, économiques et environnementales qui s’étendent à des champs aussi larges que la biodiversité, l’artificialisation des sols ou la mixité sociale. Or, il faut parfois faire preuve d’une grande inventivité pour monétariser les effets sur la société de l’aménagement d’un parcours de santé ou d’une voie cyclable.

Quand l’argent n’est plus le nerf de la guerre

Grâce à l’ESE, ce qui ne s’échange pas sur le marché a un prix. En conférant une valeur monétaire à ces impacts, on peut ainsi définir la Valeur Actuelle Nette (VAN) d’un projet.

Prenons l’exemple de la rénovation d’une université. Cette méthode intègre dans l’évaluation du projet d’aménagement des données comme l’amélioration de la luminosité des salles et du confort thermique général du bâtiment qui améliorent les conditions de travail. Ce cadre plus propice à la productivité des étudiants contribue à augmenter le taux d’obtention d’un diplôme dans le supérieur.

La valeur d’un diplôme a un effet important sur la société. On considère en effet qu’il induit un niveau d’éducation et de revenu plus élevé pour le titulaire du diplôme sur toute sa durée de vie, et qu’il y a aussi un effet d’émulation direct sur les pairs provoquant des externalités positives sur la société.

Dans cette autre situation, la rénovation d’un centre hospitalier universitaire, le projet crée des amphithéâtres destinés aux formations d’infirmier et de médecin. Le fait de provoquer des croisements entre les métiers permet ensuite de gagner du temps en salle d’opération, grâce à une meilleure connaissance des compétences mutuelles.

En quantifiant ces données, l’ESE met sur un pied d’égalité des données financières et extra-financières. Il existe pour ce faire, deux modes de calcul.

La plus « robuste » consiste à prendre les valeurs tutélaires définies par l’État via France Stratégie

A titre d’illustration, une tonne de carbone correspond à 250 euros. Il suffit alors de calculer le nombre de tonnes de carbone évitées grâce au projet pour en définir sa valeur pour la société. Notons le chiffre controversé d’une vie humaine estimé à 3 millions d’euros, qui correspond à la « production moyenne » d’un individu tout au long de sa vie (souvent approximé par la somme de ses revenus actualisés). Tout cela est très théorique et repose sur les travaux de recherches universitaires en économie et en sciences sociales utilisant des modèles économétriques et de trafic.

Toutefois, il arrive fréquemment que certains effets extra-financiers des projets d’aménagement n’aient pas de valeurs tutélaires définies par France Stratégie. Dans ce cas, la monétarisation se base sur des revues de la littérature scientifique sur le sujet. L’Ademe a par exemple mis au point Bénéfriches, un outil qui quantifie et monétarise les impacts environnementaux, sociaux et économiques d’un projet d’aménagement sur friche ou en extension urbaine. Par exemple, la reconversion d’une friche bénéficiera aux riverains en valorisant leurs biens immobiliers alentours, tandis que la création d’un îlot de fraîcheur en lieu et place de la friche réduira la facture énergétique des ménages résidant autour.

L’analyse socioéconomique permet de valoriser ces effets. Pour monétariser des effets, elle peut aussi s’appuyer sur des enquêtes de terrain qui évalue par exemple la disposition à payer d’un individu pour l’aménagement d’un nouveau parc à proximité de son domicile.

Comment calculer des impacts non marchands ? Cas pratique

L’ESE, qui est facultative pour les projets d’aménagement est pourtant de plus en plus prisée par les aménageurs et les collectivités territoriales. Elle peut permettre, pour les projets vertueux, de démontrer tant aux élus qu’aux citoyens les vertus d’un projet, et donc de justifier à la fois des investissements élevés et un temps de chantier sur plusieurs années, voire décennies.

Une ESE a été réalisée sur Bordeaux Métropole, en l’espèce sur un projet de reconversion partielle d’une zone commerciale porté par la Fab, la société publique locale. L’objectif est la construction de logements et de commerces qualitatifs sur cette zone, en parallèle de l’arrivée du tramway, avec une ambition forte sur la renaturation du site, la construction d’espaces publics et de voies pacifiées favorisant les modes de déplacement doux.

Le projet est ambitieux, incitant la Fab à valoriser son travail par une ESE. Il impose en effet aux promoteurs le respect de normes plus ambitieuses que ce que prescrit la RE 2020, et un taux de logement social important. Or, ces aspects qualitatifs ne seraient pas pris en compte avec une analyse purement financière des impacts du projet.

Le programme prévoit de surcroit d’augmenter les espaces publics verts et piétons. Cet aspect est ainsi valorisé à l’aide du « coût de renaturation », estimé entre 950 000 euros et 4,5 millions d’euros par hectare dans la littérature sur la base des coûts réels de déconstruction, dépollution et décroutage. Pour l’intégrer dans l’ESE, le coût le plus bas est retenu, afin de rester conservateur et d’éviter de surestimer un effet. En n’artificialisant pas les sols, on considère qu’on évite ce coût de renaturation à la société, le projet gagne de la valeur.

La SCET a réalisé quatre ESE depuis le lancement de cette nouvelle offre, pour le compte de Bordeaux Métropole et Toulouse Métropole. Cette méthode de calcul innovante et en progression continue et permettra sans aucun doute de mieux cerner les externalités positives des projets, au-delà de leur seule valeur financière.